Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI) est une organisation de droit congolais œuvrant pour la promotion de la paix et la protection des défenseurs des droits humains. Dans l’objectif de constituer un répertoire des cas des violations contre les défenseurs des droits humains, les journalistes et les médias en RDC, PPI publie chaque mois un feuillet de monitoring, qui est non seulement l’un de ses outils de plaidoyer pour l’amélioration des conditions de travail des DDH, mais également une preuve des différentes violations pour que tôt ou tard, les auteurs desdites violations ne restent pas impunis.
Ainsi, au cours du mois d’octobre 2022, PPI a documenté « trente-neuf (39) nouveaux cas des violations et abus contre les défenseurs des droits humains, les journalistes et les médias en République Démocratique du Congo ». Il s’agit de deux (2) journalistes arrêtés par l’agence nationale de renseignements à Kinshasa, un (1) journaliste sous menace et une centrale de monitoring des médias cambriolée à Bukavu dans la province du Sud-Kivu et 12 autres menacés à Rutshuru dans la province du Nord-Kivu. Par ailleurs, huit (8) militants pro démocratie ont été arrêtés à Goma dans la province du Nord-Kivu, tandis qu’au Sud-Kivu, un jeune pétitionnaire se retrouve également arrêté par les membres de la cellule d’investigation du gouverneur de province et la police, et mis en détention à l’ANR Sud-Kivu.
Toujours au Sud-Kivu, quinze (15) députés provinciaux initiateurs d’une motion de censure contre le gouvernement provincial disent être sous des graves menaces de services de sécurité et des membres de la cellule d’investigation du gouverneur de province, voire des personnes non identifiées.
Ci-dessous la présentation succincte du déroulement de ces violations suivant les circonstances, les lieux, les présumés auteurs et l’état actuels des victimes.
I. Violences contre les journalistes et les médias
- Arrestation des journalistes Steeve Wembi et Pascal Mulegwa à Kinshasa : Steeve Wembi, journaliste freelance pour beaucoup de médias dont New-York Times, a été arrêté le 24 octobre 2022 à Léon Hôtel à Kinshasa et embarqué dans une jeep par des agents de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR).
Le second, Pascal Mulegwa, correspondant de Radio France Internationale à Kinshasa, parti suivre la situation de son confrère a été également arrêté et jeté à bord de la même jeep, après que tous ses effets, y compris le matériel de reportage et une somme d’argent lui ont été ravis. Il a été libéré quelques heures après, mais son collègue Steeve Wembi a été gardé en détention, sans que rien ne lui soit informé comme motif de son arrestation. Les effets du journaliste Pascal lui ont été restitués, excepté son argent.
2. Menaces de mort et d’arrestation à l’endroit du journaliste Aboubakar Kigabi : En date du 23 octobre 2022, vers 12h, le média en ligne libre grand lac a alerté dans une publication que son journaliste Aboubakar Kigabi était sous menace d’arrestation à Bukavu dans la province du Sud-Kivu.
A l’en croire, depuis « le matin du samedi 22 octobre 2022, il est sous filature de la cellule d’investigation du Gouvernorat du Sud-Kivu et des services de sécurité. Recherché, selon plusieurs sources proches du gouverneur de province, pour avoir diffusé l’information sur les manifestations exigeant la démission de l’autorité provinciale, qui ont eu lieu à Cahi, chez Maria Kachelewa, Panzi/Mulengeza et dans plusieurs autres endroits de la ville de Bukavu le vendredi 21 octobre 2022 ». Et d’ajouter, « selon ces mêmes sources, le gouverneur Théo Ngwabidje ne tolère pas les publications du Journaliste Aboubakar Kigabi sur sa gouvernance, notamment sur le cas de dénonciation des détournements des fonds publics, spoliation des maisons de l’Etat ».
Contacté par PPI, la cellule de communication du gouvernement provincial a nié les faits, estimant que les autorités ne peuvent aménager aucun effort pour mettre la main sur ce chevalier de la plume, s’il serait recherché. Toutefois, PPI a tenu à rappeler que la province du Sud-Kivu est pilonnière de l’Edit provincial portant protection des journalistes et des défenseurs des droits humains, et qu’il serait anormal que ça soit dans cette même province qu’on puisse continuer à vivre les atteintes à la liberté de la presse.
4. Cambriolage du bureau de l’union nationale de la presse du Congo (UNPC) et de la centrale de monitoring des médias au Sud-Kivu : Le 09 octobre 2022, le bureau de l’union nationale de la presse du Congo (UNPC), hébergeant également la centrale de monitoring des médias gérée conjointement avec le conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) en province du Sud-Kivu a été cambriolé par des personnes non autrement identifiées Contacté par PPI, le président de l’UNPC et Directeur de la centrale de monitoring des médias, monsieur Darius Kitoka, renseigne que la porte principale de son bureau a été ouverte à clé et plusieurs matériels ont été emportés. Il cite à ce sujet : 4 écrans de visionnage, 2 serveurs, 2 modems, 3 lecteurs HD, 3 écrans plats de 21 pouces, 2 machines dans la comptabilité, 1 machine de direction et 2 autres de stockage, 2 machines de monitorage, 2 appareils photos, 2 dictaphones, 2 caméras et 2 disques durs.
Au regard de la situation, Darius Kitoka sollicite aux partenaires et personnes de bonne volonté de venir en aide à l’UNPC et au CSAC afin de leur faciliter la reprise des activités à la centrale de monitoring des médias et à l’UNPC Sud-Kivu, après que ces équipements qui leur ont été dotés par la coopération suisse ont été volés.
Par ailleurs, PPI s’inquiète de constater que ce phénomène prend de l’ampleur et parait comme un nouveau mode opératoire pour faire taire les médias et organes de presse au Sud-Kivu. Cette affirmation s’explique par le fait qu’à l’intervalle de trois mois, c’est le troisième cas qui vient d’être enregistré, après que le média en ligne laprunellerdc.info a subi le vol des ordinateurs de sa rédaction dans des circonstances qui restent jusqu’à présent non élucidées.
II. Violences contre les défenseurs des droits humains (DDH) et activistes pro démocratie
1. Arrestation de huit militants pro démocratie à Rutshuru : Alors que les militants pro démocratie manifestaient le 06 octobre 2022 pour dénoncer ce qu’ils qualifient « d’inaction des autorités militaires dans la mise en œuvre des opérations contre le M23 qui occupent déjà plusieurs villages, y compris le poste frontalier de Bunagana depuis 4 mois », huit d’entre eux, dont une femme allaitante et un autre vivant avec handicap ont été arrêtés par la police. Il s’agit de Théophile Bizimana, Joachim, Éric Kamabu, Aloyse Bing, Fatuma-Mwadjuma, Emery Kambale, Augustin Kwisaba et Seth Tsongo.
Après intervention et dénonciation de cette arrestation par les organisations de défense des droits humains, ils ont été libérés le 09 octobre 2022.
2. Arrestation du jeune pétitionnaire Bienfait Zihindula : Membre de la Dynamique de Jeunes Pétitionnaires, Bienfait Zihindula a été brutalement arrêté vers Feu-rouge le vendredi 21 octobre 2022 vers 17h00, alors qu’il était en train d’échanger avec ses collègues.
Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, un certain Bashaga, membre bien connu de la cellule d’investigation du gouverneur de province, est très visible en train de donner des ordres à certains éléments de la police pour arrêter ce jeune pétitionnaire. Chose faite, il a été amené à l’ANR Sud-Kivu, où il a été détenu pendant plus d’une semaine.
Quant aux faits, il lui a été reproché de participer à la « campagne de déstabilisation des institutions en province à travers des pétitions, des critiques négatives sur la gouvernance, mais également en propageant des fausses informations d’un faux rapport de l’inspection générale de finances (IGF) à travers les réseaux sociaux qui incrimine le gouverneur Théo Ngwabidje d’avoir détourné une somme de plus de 4 millions des dollars ».
Cet activiste a été libéré le dimanche 30 octobre 2022 vers 15h30, après de multiples interventions à son égard des organisations de défense des droits humains, parmi lesquelles PPI, SOS IJM, LDGL et SOS Justice, toutes membres du comité de suivi des mécanismes de protection des défenseurs des droits humains (CMPDDH), un réseau d’une vingtaine d’organisation de défense des droits humains dans la province du Sud-Kivu en République Démocratique du Congo.
3. Menaces à l’endroit d’une dizaine de députés provinciaux au Sud-Kivu : Exerçant leur mission parlementaire, au moins 15 députés provinciaux initiateurs et signataires d’une motion de censure contre le gouvernement provincial dirigé par le gouverneur Théo Ngwabidje Kasi déclarent vivre sous menaces graves. Des menaces proférées aussi bien par des personnes non identifiées que par des services de sécurité et des membres de la cellule d’investigation du gouverneur de province qui se comporteraient désormais comme une police ou agents de sécurité.
Des informations parvenues à PPI renseignent que dans la filature de ces députés, certains ont été agressés en date du 28 octobre 2022 par ces personnes sus identifiées alors qu’ils se trouvaient au restaurant Magic à côté de l’Institut Français dans la ville de Bukavu et profitaient de l’occasion pour échanger sur leur initiative parlementaire.
Pendant cette agression physique, le sac contenant les copies de cette motion et autres effets personnels ainsi qu’une somme d’argent du député provincial Pierre Cubaka Karhatwe a été emporté Quelques minutes après, ces effets vont être retrouvés à l’ANR Sud-Kivu, avant d’être acheminés au parquet général du Sud-Kivu.
Le dimanche 30 octobre 2022 vers 09h00, le député provincial Amani Ngubiri, l’un des motionnaires a également alerté sur la présence des militaires autour de sa maison, sans aucune raison préalablement lui communiquée.
Dans le même angle, d’autres députés comme Georges Musongela, Frédéric Batandi, Homer Bulakali, Augustin Bulimuntu, Albert Kahasha dit Foka Mike, etc., tous initiateurs et signataires de la motion confirment que des menaces et intimidations à leur égard, jusqu’à attenter à leur vie, s’accentuent de plus en plus. Tout de même, ils rassurent qu’ils n’abandonneront pas leur initiative car il s’agit d’un droit qui leur ai constitutionnellement garanti en tant que députés.
RECOMMANDATIONS
Tout en condamnant ces violations et abus contre les défenseurs des droits humains, les journalistes et les médias en République Démocratique du Congo, Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI), formule des recommandations ci-après :
- Aux députés nationaux : de voter la loi portant protection des DDH en République Démocratique du Congo afin que les journalistes et les DDH soient à l’abri des violations et abus dans l’exercice de leur travail.
- Au gouverneur de province du Sud-Kivu : de comprendre que la motion, quelle que soit sa nature, fait partie de la mission du parlement, et en cas de celle-ci, il doit s’apprêter à répondre devant les élus du peuple pour fournir ses éléments de réponses aux préoccupations soulevées.
- Aux services de sécurité et particulièrement à l’ANR et à la justice au Sud-Kivu : d’éviter de servir de marchepieds aux politiciens qui veulent gouverner la province ou les entités territoriales décentralisées par la terreur en faisant arrêter quiconque critique leur gouvernance.
4. Aux partenaires privés et étatiques : d’appuyer l’union nationale de la presse du Congo (UNPC) et Le CSAC afin d’acquérir des nouveaux équipements pour le travail de monitoring des médias, mais également la reprise des activités de l’UNPC en province du Sud-Kivu.
Note : PPI dénonce la détention depuis plus de trois mois à la prison centrale de Munzenze à Goma de la défenseure des droits humains, Fatuma Aone, membre du Bureau d’Etudes et d’Appui pour le Développement de Walikale (BEDEWA) et porte-parole du clan Bawana du village Kanyama dans le groupement de Wassa en territoire de Walikale auprès de la Société minière Alpha Bisie Mining (ABM SA).
Ceci après que cette société l’a fait arrêter depuis le 02 août 2022, alors qu’elle dénonçait les tentatives pour cette société de vouloir étendre ses activités au-delà de son périmètre d’exploitation en dehors des terres ancestrales du clan Bangandula, alors qu’avec la découverte d’un nouveau gisement minier aurifère dans cette zone, la société devrait préalablement signer un nouveau protocole d’accord avec la communauté, prenant ainsi en compte son cahier de charges. Malheureusement, tel n’a pas été le cas, et, contre toute attente, la société a souhaité s’imposer jusqu’à faire arrêter l’activiste Fatuma.
Son dossier ayant été instruit et envoyé en fixation au tribunal militaire de garnison de Goma sous RP4072, elle a bénéficié de l’assistance judiciaire à travers les avocats qui lui ont été dépêchés par les organisations Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI) et la Synergie Ukingo Wetu (SUWE). A l’issue de l’audience de plaidoirie, cette affaire a été prise en délibéré pour un jugement à intervenir.
Par ailleurs, PPI se réjouit de la libération depuis le 30 septembre 2022 de trois militants du mouvement Jicho la Raiya dans la même province du Nord-Kivu. Il s’agit de Claude Lwaboshi, Serge Mikindo et Faustin Ombeni, arrêtés depuis mars 2021 et poursuivis pour « imputation dommageables et dénonciation calomnieuse » devant le tribunal militaire de garnison de Goma.