INTRODUCTION
Le socle de tout pouvoir politique se construit sur la légitimité ainsi que la confiance dont il jouit auprès du peuple, principal bénéficiaire de son action traduite par la définition et la mise en œuvre effective des politiques publiques orientées vers la satisfaction des besoins du plus grand nombre. C’est donc à l’aune de la matérialisation de ces politiques publique que l’on peut porter un jugement pertinent sur le type de gouvernance mise en place dans un Etat.
Au cours de la présente conférence de presse marquant le 11ème anniversaire de son existence, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) livre sa lecture en rapport avec l’état de la gouvernance en République Démocratique du Congo ce, pour la période comprise entre 2021-2022. Je rappelle, en passant, que le mandat de l’ACAJ est essentiellement la promotion et la protection des droits de l’homme par la justice (la vulgarisation des instruments juridiques nationaux et internationaux des droits de l’homme, le monitoring des violations des droits de l’homme, plaidoyer pour la jouissance des droits et libertés fondamentaux des citoyens, l’accompagnement juridique et judiciaire des victimes des violations des droits de l’homme).
En liminaire, l’ACAJ doit à la vérité de reconnaitre que plusieurs avancées significatives ont été enregistrées en ce qui concerne la mise en œuvre par le Gouvernement de ses engagements en matière des droits de l’homme depuis l’avènement à la magistrature suprême de l’actuel Président de la République notamment dans la lutte contre la corruption – la redynamisation de l’Inspection Générale des Finances (IGF), l’opérationnalisation de la Cellule Nationale des Renseignements Financiers (CENAREF), la création de l’Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption (APLC), et récemment la prestation de serment des magistrats de la Cour des Comptes -, l’application de la gratuité de l’enseignement de base, l’accès à l’eau potable, et la réhabilitation de la voirie urbaine dans certaines villes.
Cependant, par la volonté affichée de quelques brebis galeuses et de leurs affidés, cette embellie s’étiole malheureusement. On assiste à une reconduction désinvolte de tares jadis dénoncées et vivement condamnées, tant au plan national, qu’international. C’est pourquoi, l’ACAJ dans le cadre de ses missions de contrôle citoyen voudrait, autour de trois points, interpeler toutes les institutions publiques aux fins de les engager durablement dans la promotion et la protection des droits de l’homme, gage d’une bonne gouvernance de l’Etat, autour de trois points ci-après :
1. RESPECT ET PROMOTION DES DROITS DE L’HOMME
Autant l’ACAJ a marqué son appréciation sur les avancées relevées dans ce domaine au cours de la période 2019 2021, caractérisée par une approche attentive des autorités aux questions touchant aux droits de l’homme, autant elle exprime ce jour ses vives inquiétudes quant à la recrudescence des violations desdits droits par certains détenteurs du pouvoir public, principalement les corps habillés et les services de sécurité.
Malheureusement, les méthodes condamnées et décriées sous les régimes passés font curieusement un retour en force dans les milieux des sécurocrates congolais qui justifient leurs dérives par des absurdités du genre « la politique ne se fait pas par le respect des droits de l’homme ! ». Tout en dénonçant ces atteintes qui contredisent les déclarations officielles du Président de la République et du Premier Ministre, l’ACAJ en voudrait pour illustration non exhaustive les cas ci-après des compatriotes détenus abusivement et en toute illégalité dans des cachots des services de sécurité, transformés en juridictions d’exception, pourtant promis à la disparition par le Président de la République à sa prise de fonction :
- Dossier de M. François BEYA KASONGA, Conseiller Spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité au moment des faits, a été détenu pendant 60 jours dans les installations de l’Agence Nationale des Renseignements (ANR)/Kinshasa avant d’être transféré à l’Auditorat général militaire. Plusieurs de ses collaborateurs y sont encore détenus dans le plus grand secret ;
- Dossier de MM. DROMA NDOWA Ferdinand et BAELONGANI KAMANGO Freddy, tous directeurs à la SOKIMO SA, sont détenus à l’ANR/Kinshasa depuis 56 jours sans être transféré auprès de l’autorité judiciaire compétente, et ce en violation des articles 17, 18 et 19 de la Constitution ;
- Dossier de M. KOBA BALU Tony, a été détenu pendant trois (3) jours à l’ANR/Matadi (Province de Kongo-Central) pour une affaire à caractère civil. Pour recouvrer sa liberté, il a dû payer la somme de 5000 USD sur 25000 USD lui réclamés. Ses documents parcellaires et voiture sont confisqués pour le contraindre à payer le solde au plus tard le 23 septembre 2022 ;
- Dossier de M. KIBAMBE KAPENGA Célestin, président du Conseil provincial de la jeunesse, et M. KABULO Roger, membre, ont été détenus à l’ANR/Kamina (Province du Haut-Lomami), pendant respectivement 18 jours et 15 jours pour « imputations dommageables » qu’ils auraient faites au préjudice de la Gouverneure de province, avant d’être transférés au Parquet au Général près la Cour d’Appel de Haut-Lomami.
Dans un tel environnement, le peuple réalise que le changement allégué n’est qu’un leurre. Il revient aux pouvoirs publics d’initier des mesures correctives au sein de ce service qui tend à perdre la confiance des Congolaises et Congolais.
2. REDEVABILITE ET EXEMPLARITE POLITIQUES
Depuis quelques temps, l’ACAJ note que la redevabilité et l’exemplarité, pourtant ingrédients substantiels à la bonne gouvernance, relèvent de l’angle mort de l’action de plusieurs agents publics de l’Etat. En effet, ces principes sont respectivement des mécanismes qui permettent au peuple de demander des comptes aux gouvernants et autres acteurs politiques responsables sur leurs actions, leur inaction et les décisions qui affectent la jouissance par tous des droits humains ainsi qu’un comportement qui incite au respect d’une certaine décence « common decency » dont les détenteurs du pouvoir public devraient faire montre au regard des lois de la République.
Force est de constater, en dehors des émissions sur la redevabilité, organisées sur la télévision nationale par le Ministre de la Communication et des Médias, Porte-parole du Gouvernement, que les institutions politiques sont aphones lorsqu’il est question de rendre compte de leur gestion au peuple.
La polémique actuellement en cours sur les émoluments des députés nationaux en constitue une illustration éloquente. Il n’est pas acceptable que ceux qui se nourrissent à la mamelle du contribuable Congolais, à fortiori ses représentants, refusent de mettre à sa disposition une information fiable et vérifiable quant à leurs rémunérations. Cette attitude remet en cause l’exigence de transparence sans laquelle on basculerait dans une République bananière digne du « Gondwana ».
La gestion des Entreprises et Établissements publics a changé de centre de gravité en ce qu’elle n’est plus le fait de leurs organes attitrés, mais plutôt des directives émanant, selon le cas, soit des Ministères de tutelle, soit des autorités morales des partis politiques dont émanent les mandataires, soit enfin des personnes se réclamant de la Présidence de la République ou de la Magistrature judiciaire.
Y relativement, l’ACAJ détient par devers elle des dossiers emblématiques et solidement documentés qui révèlent des pressions de nature maffieuse exercées par certaines autorités sur les animateurs des Entreprises et Établissements publics aux fins d’obtenir d’eux le règlement financier de litiges pour la plupart imaginaires ce, en collusion avec certains juges et magistrats. Dans le même ordre d’idées, il est donné à l’ACAJ d’observer avec consternation ce, à titre d’exemple basique, que la meilleure façon de s’affranchir de la loi en RD Congo c’est d’être détenteur ou dépendant du pouvoir politique. En effet, rares sont les véhicules de l’Etat ou prétendument présentés comme tels qui respectent les prescrits du Code de la route. A longueur de journées, ceux qui sont appelés à infuser les meilleures pratiques, brûlent les feux de signalisation et roulent allègrement dans les sens interdits. Arborer une plaque minéralogique bâchée au mépris de la règlementation en vigueur, constitue une façon de dire à la population que la loi ne concerne nullement les autorités politiques, civiles et autres corps habillés.
De ce fait, les gouvernants perdent chaque jour le reflet de la lumière par suite d’actes non exemplaires, donc non éthiques et se retrouvent dans la position des leaders n’ayant su faire face aux tentations matérielles du pouvoir, courent le risque de perdre le soutien du peuple et devenir indignes de la confiance de celui-ci.
Il est par ailleurs inadmissible que les biens de l’Etat, principalement le charroi automobile soient gérés comme des biens sans maître, surtout en l’absence des normes qu’aurait dû édicter le Ministère ayant les Travaux publics dans ses attributions.
3. ACCES EQUITABLE ET EQUILIBRE AUX EMPLOIS PUBLICS ET GESTION DES RESSOURCES NATIONALES
L’ACAJ note qu’en violation des articles 12, 13, 36 et 58 de la Constitution, la redistribution équitable des emplois et des ressources publiques est absente de l’agenda de certaines autorités politiques. Les récentes nominations au sein de quelques Établissements publics en font foi.
En effet, contrairement aux dispositions de l’article 193 de la Constitution, nous assistons impuissants à la politisation de l’Administration publique. Et pourtant, l’un des engagements forts de nouvelles institutions consistait à combattre le Clientélisme de l’Etat quant à l’accès aux emplois publics, et ainsi mettre un terme à la précarité du marché de l’emploi en se fondant sur le principe de l’égalité de chance. Malheureusement, sur terrain la désillusion est totale. En effet, les nominations à tous les niveaux constituent l’antithèse de tous les slogans politiques largement médiatisés. Les mises en place au sein des services publics ont pour finalité de caser les frères de familles biologique ou politique, souvent au détriment de l’expertise. Au lieu du « peuple d’abord », les congolais assistent médusés à une forte politisation desdits services publics où la règle est désormais « parti politique et famille d’abord, le peuple après ». Ce faisant, plusieurs citoyens, dont le péché est de ne pas être membre d’un parti politique ou de la famille sociologique des décideurs, sont renvoyés au chômage au profit des militants et/ou frères et sœurs biologiques.
Comme on peut aisément le deviner, la compétence en RD Congo ne constitue plus une valeur ultime ; elle devient de plus en plus un danger pour ceux qui la détiennent. Cela est d’autant préoccupant dans la mesure où le choix du personnel politique ou administratif n’obéit pas à l’exigence de compétence et/ou expérience. L’engagement en politique ou la création des partis politiques ne sont plus motivés par la recherche du bien commun, plutôt de l’enrichissement personnel. Cerise sur le gâteau, à travers des actes d’engagement et de loyauté, les décideurs politiques sont astreints à ne recruter que des personnes imposées par leur hiérarchie politique respective. Ainsi, de manière consciente, les regroupements politiques censés être le creuset de l’humanisme pour une prospérité partagée, encouragent et érigent une fracture sociale susceptible de déboucher sur un antagonisme dangereux entre deux Congo : l’un des privilégiés et l’autre des laissés-pour-compte. Contrairement aux prescrits de la Constitution, l’accès aux charges publiques est devenu discriminatoire par la volonté de l’Union Sacrée. Il s’agit là d’une dangereuse atomisation de la cohésion nationale acquise, au prix de sacrifices de congolaises et congolais.
Cet état de choses crée des frustrations dans la société du fait de la marginalisation du plus grand nombre. Car, seuls les membres des partis et regroupements politiques sont privilégiés et ont droit à des conditions de vie décentes d’autant plus que toutes les ressources publiques mobilisées servent à entretenir copieusement le train de vie des institutions qui ne se sentent pas concernées par la précarité des ressources publiques. Les charrois automobiles composant les cortèges des Ministres et autres dignitaires du régime ne sont pas en reste. Comment convaincre le peuple que les moyens de l’Etat sont limités pendant que les dignitaires du régime rivalisent d’ardeur en se pavanant dans la ville de Kinshasa avec des cortèges composés de véhicules dont la valeur minimale s’élève à plusieurs centaines de milliers de dollars américains par cortège.
Dans l’entretemps, les secteurs d’intérêt commun sont quasi abandonnés à leur triste sort. C’est le cas de la santé, de la sécurité, ainsi que des routes de désenclavement urbain et rural. Dès lors, on assiste impuissants à la détérioration grandissante des conditions sociales. On peut aussi noter l’amenuisement continu du panier de la ménagère, la mobilité perturbée du fait de l’incivisme routier que les autorités encouragent et peinent à réguler, l’impunité et la complicité dont jouissent plusieurs opérateurs économiques véreux qui s’illustrent, non seulement dans la pratique du commerce triangulaire, mais aussi dans la fixation des prix prohibitifs.
CONCLUSION
La RD Congo est un patrimoine commun à toutes les Congolaises et à tous les Congolais. Dès lors, il est inadmissible qu’une caste de dirigeants politiques captent à leur seul profit toutes les ressources générées par l’effort collectif.
L’ACAJ proclame haut et fort : Rendre le Congolais heureux ne relève pas d’une option ; c’est un devoir pour les gouvernants. C’est pourquoi, elle en appelle à Son Excellence Monsieur le Président de la République, garant du bien-être national et, in fine, seul comptable devant la Nation de l’action menée par le Gouvernement.
Il est urgent pour que la croissance des ressources publiques devienne réellement inclusive et pas un alibi destiné à entretenir l’enrichissement de quelques-uns sur le dos du souverain primaire, dont les intérêts existentiels sont dangereusement menacés par la boulimie et l’insouciance de la classe politique.
De tout ce qui précède et sans prétention aucune, l’ACAJ reste mobilisée pour que les gouvernants satisfassent les préoccupations du plus grand nombre. Au demeurant, l’ACAJ comme mouvement citoyen n’est pas l’ennemie, encore moins une opposante à un quelconque système politique ou social. Elle est tout simplement le porte-voix des sans voix. Sa mission essentielle est de nourrir un contrôle citoyen sur la gestion de la res publica et d’en dénoncer les dérives et autres travers contraires à la bonne gouvernance.
En définitive, le rôle de l’ACAJ consiste, d’une part à lancer des alertes en direction des décideurs sur des agissements contraires aux engagements vis-à-vis de leur serment et, d’autre part, de relever et encourager ce qu’il y a de positif dans la gouvernance de la Cité. Car, critiquer ne suppose pas seulement d’accéder à l’autoréflexion, mais également de concevoir que les choses puissent être autres, c’est donc contester ce qui est à l’aune de ce qui n’est pas mais qui pourrait être. En ce sens, son action met le focus sur des propositions appropriées susceptibles d’influer sur la définition et l’implémentation des politiques publiques bénéfiques à la communauté nationale.
Eu égard à ce qui précède, l’ACAJ recommande au Gouvernement, de s’assurer que tous les responsables de services de sécurité respectent les droits fondamentaux des personnes arrêtées ; veiller au respect des règles de la bonne gouvernance et l’égalité de chance ; et faire le suivi de l’application de toutes les décisions du Conseil des Ministres dont celle relative à la réduction du train de vie des institutions politiques.